Reportage photographique de Marie-Pierre Dieterlé
Au Sénégal, comme dans la plupart des pays de la sous-région, les activités agricoles ne bénéficient que rarement de mécanisation et d’un apport énergétique (seules 2 personnes sur 10 ont accès à l’électricité en zone rurale). C’est le cas du maraîchage alors que plus de 80% de la population active de la région de Ziguinchor (Casamance) tire ses revenus du secteur primaire.
Développé suite à la diminution de la pluviométrie et de la salinisation des sols en relais de la riziculture dans les années 1970, le maraîchage est devenu une source croissante de revenus pour les populations rurales et particulièrement pour les femmes, généralement regroupées dans des Groupements de Promotion Féminine (GPF). Cette activité génère des revenus complémentaires pour leur famille et permet aux femmes d’être moins vulnérables face aux inégalités structurelles existantes.
Cependant, le potentiel maraicher de la région de Ziguinchor reste largement sous-exploité, au détriment de l’essor économique de la zone et des conditions d’existence des femmes travaillant sur les périmètres, qui restent globalement en situation de précarité. Cela est d’abord dû à une absence d’infrastructures modernes agricoles, ainsi que l’a diagnostiqué l’Agence Nationale de Conseil Agricole et Rural (ANCAR) dans le cadre d’un précédent projet mené par la Fondem sur les périmètres maraîchers de la commune de Ouonck : les équipements de pompage, les réseaux de bassins et les systèmes d’irrigation sont souvent vétustes ou inexistants. Les motopompes parfois installées sont inadaptées du fait du coût élevé et fluctuant du carburant, rendant leur usage prohibitif. Lorsque des installations modernes existent, elles sont souvent peu pérennes, car aucun schéma d’exploitation n’a été pensé en amont afin d’assurer la maintenance et le renouvellement des équipements.
Les femmes sont ainsi contraintes d’extraire l’eau manuellement, travail très pénible engendrant des douleurs musculo-squelettiques qui obligent les plus âgées à cesser leur activité, les plaçant de fait dans une situation encore plus précaire. De plus, l’arrosage manuel des cultures est chronophage et impacte la productivité. En conséquence, la production des périmètres reste faible et peu diversifiée, limitant les revenus et la variété alimentaire pour les familles.
La sous-exploitation du potentiel maraîcher s’explique également par le manque d’organisation de la filière et notamment l’absence de planification : les productrices arrivent généralement toutes sur le marché au même moment, avec les mêmes produits, engendrant méventes et baisses de prix (les productrices sont en effet contraintes de vendre à tout prix, pour éviter les pertes). Les femmes qui ne font pas le trajet jusqu’au marché vendent leurs récoltes à proximité des périmètres, à des habitants des villages.
Par ailleurs, la production se concentre entre décembre et avril, entraînant une saturation temporaire du marché et une baisse des prix sur cette période. À l’inverse, en période d’hivernage, les produits comme la tomate, le chou et l’oignon deviennent rares, leurs prix grimpant jusqu’à devenir hors de portée des consommateurs moyens.
La Fondation Energies pour le Monde (Fondem) travaille depuis 1998 au Sénégal (Casamance) pour favoriser l’accès à l’électricité par énergies renouvelables dans les villages isolés. Fort de ces constats, la Fondem et ses partenaires locaux, notamment le CGESO, ont mené entre 2020 et 2024 le projet ÉGALES afin d’améliorer les conditions de développement humain et économique de 7 groupements féminins maraichers dans la commune de Ouonck (Bignona, Casamance) en valorisant le gisement solaire et en optimisant l’usage de l’eau.
La modernisation des 7 périmètres maraîchers correspondants par l’installation de pompes solaires, de systèmes d’irrigation et la réhabilitation des puits existants doit permettre aux GPF concernés d’améliorer leurs conditions de travail et d’accroître leurs revenus, mais aussi de réduire, grâce à des ateliers de sensibilisation dédiés, les inégalités liées au genre.
ÉGALES : un projet à triple impact
Impact sur les conditions de travail et de vie des femmes
On estime que les femmes portent 60 à 70 % de la production agricole. Du fait de leur plus grande charge de travail domestique, les femmes suppléent au manque de service électrique en fournissant elles-mêmes l’énergie : elles récupèrent manuellement l’eau du puits et portent des seaux de 12 kilos sur une distance de 2 km par jour environ (pour irriguer 300m2).
Grâce à la mécanisation de l’exhaure d’eau par l’installation de pompes solaires et d’un système d’irrigation sobre et efficace de type californien, leur bien-être et celui de leur famille sont préservés. En effet, cette modernisation technique préserve la santé des femmes qui ne sont plus obligées de porter des charges lourdes et d’arroser manuellement. Ce gain de confort et de temps a entraîné une nette augmentation de la productivité des parcelles maraichères et a permis à certains groupements de doubler leurs revenus par rapport aux années précédents. Les femmes sont désormais passées d’une agriculture de subsistance à une agriculture productive, gage de leur émancipation.
Impact sur l’autonomisation et l’émancipation des femmes
Les femmes casamançaises ont en général moins accès aux crédits, aux activités de formation professionnelle, à la propriété foncière, autant d’obstacles pour leur développement économique et humain. Les activités économiques qu’elles exercent relèvent le plus souvent du secteur informel, et elles sont donc moins susceptibles d’être incluses dans des initiatives d’insertion professionnelle.
Enfin, les femmes sont maintenues écartées des interventions de développement pour des raisons structurelles : elles ont généralement moins accès à l’éducation et souffrent d’une moindre disponibilité pour participer aux initiatives à cause du temps consacré aux tâches domestiques et aux soins des enfants.
Le projet ÉGALES favorise l’émancipation professionnelle des femmes et la réduction des inégalités de genre. Ainsi, un appui à la structuration de la filière maraîchère par le biais de formations spécifiques tant sur la productivité que sur la commercialisation des produits a été mis en place, ce qui a donné le jour à des « commissions » correspondant aux différents maillons de la chaîne de valeur : hydraulique, production, commercialisation, finance, gestion du périmètre. Chaque commission comprend 3 femmes qui ont été choisies par l’ensemble des membres du GPF selon les besoins et les compétences de chacune au travers d’une charte de gestion du périmètre.
De plus, le projet ÉGALES a permis d’appuyer l’accès à des sources de financement afin de permettre aux femmes de participer à l’achat de leurs équipements de production et d’accéder à la propriété foncière, sécurisant l’activité maraichère productive.
La synergie entre le projet ÉGALES et le projet DESFERS de ACRA Sénégal, leur donne l’opportunité d’accéder à des micro-crédits adaptés à leurs moyens afin de développer d’autres activités en parallèle du maraîchage.
Pour finir, des formations entrepreneuriales à destination des femmes ainsi que des actions de sensibilisation sur l’égalité des genres ont été mises en place.
Impact sur la résilience face aux effets du changement climatique
Le projet ÉGALES suit un objectif double d’atténuation du changement climatique et d’adaptation à ses effets. La modernisation de 7 périmètres maraichers à destination de groupements féminins ruraux grâce à l’installation de pompes solaires permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre. En effet, la production d’énergie photovoltaïque émet 10 fois moins de carbone que le diesel traditionnellement utilisé dans les générateurs des motopompes.
En développant le maraichage, ÉGALES participe à la création d’une consommation locale. Cette nouvelle autosuffisance alimentaire réduit les émissions de carbone liées à l’importation. ÉGALES développe aussi un mode de maraichage qui saura s’adapter aux contraintes climatiques. En sensibilisant les organisations d’agricultrices à l’importance d’une gestion optimisée de l’eau ainsi qu’aux pratiques agro-écologiques, le projet assure la préservation des nappes phréatiques fragilisées par le changement climatique.
Ces bonnes pratiques, comme par exemple l’élaboration d’un planning d’arrosage, pourront ensuite être partagées au sein de toute la communauté afin d’encourager la pérennisation de la pratique agricole vivrière pour les générations futures.